Monsieur le Président,

Monsieur le Premier Ministre,

Mesdames et Messieurs les Ministres,

Au nom du Groupe les Républicains, mes pensées reconnaissantes vont évidement aux soldats français qui ont accepté leur mission, qui ont répondu à la décision du Chef des Armées d’engager la France sur le théâtre d’opération syrien.

L’article 35 de notre Constitution donne au Président de la République la responsabilité d’engager, seul, nos Armées. Il vient de faire ce choix. Nous ne doutons pas qu’il a pesé, lourdement, cette décision et qu’il l’a fondée sur une conviction profonde qu’elle servira les intérêts de la France. Car c’est en définitive ce qui compte lorsqu’on envoie nos soldats au feu.

Il nous revient désormais, à nous, parlementaires, d’en débattre. Le Président de la République a fait une lecture stricte de l’article 35. C’est son droit.

Je souligne que rien ne lui interdisait d’organiser un débat avant les frappes – François MITTERRAND l’avait fait en 1990, et de permettre au Parlement de voter. Un vote de la Représentation Nationale donne de la force à une décision du Président de la République qui ne s’appuie pas sur la force du droit international.

J’ai le privilège – triste à bien des égards – de m’exprimer pour la 3ème fois, devant un Premier Ministre qui défend la décision d’un Président de recourir à la force en Syrie. Vous êtes donc le 3ème, après M.M AYRAULT et VALLS, auquel je réponds.

Vous n’avez pas oublié, chers collègues, pour ceux qui étaient là, le fiasco du débat du 4 septembre 2013.

Un Président qui décide, déjà suite à l’emploi d’armes chimiques, de nous informer que la France va intervenir.

Tabou absolu du droit international depuis le protocole de Genève de 1925, l’utilisation de gaz est un acte barbare, sauvage et inhumain. Hier comme aujourd’hui. C’est l’honneur ders grandes démocraties d’être inflexibles.

Vous savez ce qu’il advint de cette intervention. Lâché par le Président OBAMA et le Parlement britannique, François HOLLANDE a renoncé. Il n’avait d’ailleurs pas vraiment d’autre choix car, sans mandat des Nations Unies, cette intervention était vouée à un échec politique.

Nous connaissons la suite de l’histoire. En deux ans, la situation est devenue incontrôlable. L’Etat islamique a imposé un califat de la terreur. Un califat, ne l’oubliez pas, qui avait imposé le viol, la torture et l’esclavage des femmes.

Une barbarie dont ont été victimes les chrétiens d’Orient, les Yézidis, les Kurdes et les populations civiles syriennes. Une barbarie qui a frappé douloureusement le territoire national et emporté tant de nos compatriotes.

En septembre 2015, le Président HOLLANDE a pris acte de l’échec de la stratégie occidentale. Il a pris acte qu’en Syrie rien ne se ferait sans la Russie, sans les puissances régionales, notamment l’Iran et la Turquie.

La Russie a peut-être beaucoup de défaut mais convenons qu’elle a permis d’accélérer la chute de Daech. Que serait devenue la poudrière syrienne sans l’intervention russe ?

Convenons aussi, et c’est de la Realpolitik, que la Russie a des objectifs stratégiques en Syrie, en particulier ses bases militaires, et qu’elle les défend avec constance.

Est-ce donc raisonnable, dans ces conditions, de s’interdire, par dogme, de travailler à une solution politique globale pour la Syrie avec la Russie ? Tout le monde sait que rien ne s’est fait depuis 2015 et que rien ne se fera en Syrie sans la Russie. Parce qu’elle est présente, qu’elle a des bases militaires, et que surtout les Russes, avec les Iraniens et maintenant les Turcs ont décidé que leurs intérêts stratégiques justifient le maintien au pouvoir de Bachar El Assad.

Quels sont, nous, nos intérêts fondamentaux ? La France les a-t-elle-même un jour définis ?

On devrait pourtant être instruit du cas irakien.

Comme en Irak, l’élimination d’un dictateur ne suffirait pas à poser les fondations d’une démocratie.

Comme en Irak, nous avons affaire à une guerre civile. Comme l’Irak, la Syrie est un pays complexe, ethniquement et religieusement.

Et pourtant, nous, nous continuons à être flous sur nos véritables objectifs.

J’ai cru comprendre que le départ de Bachar El Assad n’est plus un objectif central de la France. Il faut nous le confirmer si c’est le cas. Et si c’est le cas, pourquoi ne travaillons-nous pas à une solution partagée avec la Russie ?

Je garde en mémoire la réaction du Président CHIRAC quand, en 2003, il a refusé que la France ne s’engage dans le bourbier irakien.

Je le cite : « s’affranchir de la légitimité des Nations-Unies, privilégier la force sur le droit, ce serait prendre une lourde responsabilité ».

Nous pensons plus que jamais qu’il avait raison car c’est une ligne constante de la diplomatie française. Il avait raison car un membre permanent du Conseil de Sécurité doit respecter le droit international. Que dirons-nous quand d’autres interviendront sans mandat onusien?

Nous considérons que le respect du droit international, dans la durée, renforce la voix de la France. En nous alignant sur les positions américaines, nous renonçons à une forme de singularité française.

Après 5 années de tâtonnements, d’errements parfois, je crains que la France n’ait choisi, à nouveau, l’isolement au Levant.

Un isolement qui l’empêchera de peser sur le cours des choses.

Vous avez annoncé des initiatives politiques et diplomatiques. Mais nous n’avons pas été rassurés, ni par les mots du Président de la République, ni par les vôtres. Nous n’avons, en vérité, pas compris si :

  • Premièrement, la Russie et les puissances régionales sont des interlocuteurs crédibles et souhaités par la France?
  • Si, deuxièmement, Bachar El Assad, est un acteur du règlement global aux yeux de la France?

Nous pensons quant à nous qu’il est temps de dire aux Français ce que nous cherchons en Syrie, et quels sont nos objectifs si nous en avons.

Faute de quoi, les frappes aériennes de samedi n’auront été que la manifestation d’une forme d’impuissance sur le fond.

Le Président MACRON, contrairement à ce que certains médias et lui-même peuvent être tentés d’accréditer, n’est pas, dans cette affaire, un chef de guerre.

Il est le Chef de l’Etat, Chef des Armées qui doit agir, d’abord et seulement, pour défendre les intérêts vitaux et stratégiques de la Nation. Nous lui recommandons de placer son action dans le long cours de la diplomatie française. La Représentation Nationale, elle aussi, est dépositaire de cet héritage. Elle a son mot à dire. Et encore une fois, rien n’interdisait un vote du Parlement.

En décidant, seul, une intervention sans mandat des Nations-Unies, il a franchi une ligne. Nous le regrettons.

Nous le regrettons car c’est ce que les Chefs de l’Etat qui se sont succédé ont bâti de plus précieux pour garantir l’indépendance de la France. A chaque fois que la France a pesé, a fait entendre sa voix, comme en Irak en 2003, elle a été fidèle à sa mission, elle a été plus forte, elle a été respectée.

C’est ce que nous attendons du Président de la République : une vision diplomatique et militaire claire et une expression d’indépendance pour son pays.

Je vous ai interrogé hier à Matignon sur les renseignements qui ont justifié les frappes. Je vous ai demandé s’ils proviennent de nos propres services. Vous m’avez répondu oui. J’en ai pris acte car c’est une question essentielle.

C’est au prix de la transparence, de la confiance aussi entre votre Gouvernement et son opposition, que nous pourrons soutenir les initiatives de la France après des frappes qui sont une réussite opérationnelle, mais dont rien ne dit à cette heure qu’elles sont une réussite politique, ni qu’elles permettront de progresser dans la voie d’une solution en Syrie.

Je dois à la vérité de dire, après vous avoir écouté hier puis aujourd’hui, que l’utilité des frappes françaises en Syrie reste à démontrer. En intervenant sans mandat, nous craignons que la France se soit encore un peu plus isolée dans cette région du monde où pourtant ses liens auraient dû lui permettre de jouer un rôle à la mesure de son histoire. C’est une occasion manquée.

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