Fait extrêmement rare sous la Vè République, deux motions de censure sont débattues à l’Assemblée nationale. Par le dépôt d’une motion, l’Assemblée nationale met en cause la responsabilité du Gouvernement. Voici les raisons du dépôt de cette motion de censure déposée par notre groupe politique :

En mai 2017, Emmanuel Macron devenait Président de la République. Tout comme lui, sa majorité à l’Assemblée nationale a été élue sur les bases d’une promesse de renouvellement des élus, de l’exemplarité des responsables publics, de leur probité et d’une totale transparence du fonctionnement de nos institutions.

Parmi les premiers textes adoptés par le Parlement dès août 2017 figurent les lois portant sur la confiance dans la vie politique (Loi organique 2017-1338 du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique-Loi 2017-1339 du 15 septembre pour la confiance dans la vie politique).

Un an plus tard, force est de constater que ces engagements, largement soutenus par nos concitoyens, ont été très largement bafoués et remis en cause par une affaire révélée plus de deux mois après la commission des faits.

Cette affaire, dite « affaire Benalla », a été révélée par le journal le Monde dans la soirée du mercredi 18 juillet. A l’origine, cette enquête du quotidien national se borne à révéler qu’un collaborateur du Président de la République a été filmé lors de la manifestation du 1er mai 2018 à Paris en train de frapper des manifestants. Il était alors équipé d’un casque et d’un brassard de police.

Dès le lendemain, différents organes de presse égrènent de nouvelles révélations. Il lui est notamment reproché, outre d’avoir porté des coups à deux manifestants le 1er mai 2018, Place de la Contrescarpe à Paris :

- d’avoir participé aux opérations de maintien de l’ordre boulevard de l’hôpital à Paris, non en tant qu’observateur, mais agissant manifestement dans l’organisation. Il était d’ailleurs équipé d’un poste de communication police.

- d’avoir obtenu de la part de trois hauts gradés de la police nationale les vidéos de surveillance prise lors des évènements de la place de la Contrescarpe le 18 juillet 2018 peu après les révélations du Monde.

Les Français, et la Représentation nationale, ont alors appris quelles avaient été les conséquences, ou plutôt l’absence de conséquences, des faits incriminés.

Tout d’abord, il faut rappeler que ce collaborateur bénéficiait de l’extrême confiance du Président de la République puisqu’il a, par exemple, été en charge de diriger la sécurité personnelle du Président lors de ses déplacements privés, ayant préalablement choisi de son propre chef les agents qui devaient l’entourer durant ce séjour.

A la suite des faits précédemment énoncés, Monsieur Benalla n’a fait l’objet que d’une simple mise à pied conservatoire, et il n’a jamais été question de licenciement pour faute grave.

Alors que les faits incriminés étaient de nature pénale et auraient dû être transmis au procureur de la République, respectant en cela l’article 40 du code de Procédure Pénale, aucune transmission n’est intervenue début mai.

Contrairement à ce que le porte-parole de l’Elysée a indiqué le 19 juillet dernier, il n’a pas été affecté à un poste administratif, suite à sa mise à pied conservatoire de 15 jours, puisqu’il a continué à effectuer des missions relatives à la sécurité du Président, et sur des évènements autres que ceux organisés à l’Elysée :

- Hommage à Madame Simone Veil le 1er juillet,

- Visite privée du Président de la République le 13 juillet à Giverny.

- Défilé du 14 juillet,

- Prise en charge, contre la volonté du commandant de gendarmerie présent sur les lieux, des opérations relatives à la sécurité des Bleus sur le tarmac de l’aéroport de Roissy

- Descente des Champs Elysées des Bleus le 16 juillet 2018.

Enfin, il est nécessaire de s’interroger sur les différents avantages dont disposait Monsieur Benalla, au regard des protections dont il a bénéficié :

- Un traitement inhabituel vu son âge, 26 ans

- Une voiture de fonction avec gyrophare sans que ses fonctions ne le justifient

- Un port d’arme délivré par la Préfecture de Police après avis défavorable du ministère de l’intérieur.

- Un badge « H » de l’Assemblée nationale, lui offrant un accès permanent à l’hémicycle, alors que le suivi du travail parlementaire ne fait manifestement pas partie de sa mission et qu’il n’a pas fait l’objet d’une nomination au Journal Officiel

- L’obtention du grade de Lieutenant-Colonel de réserve dans la Gendarmerie à 26 ans.

- La mise à disposition d’un appartement de fonction Quai Branly, habituellement réservé aux hauts fonctionnaires de l’Elysée, et ce depuis le 9 juillet 2018

- La proposition de son nom pour une liste de nominations au poste de sous-préfet

Dimanche 22 juillet 2017, Monsieur Alexandre Benalla est mis en examen pour « violences en réunion n’ayant pas entraîné d’incapacité totale de travail », « immixtion dans l’exercice d’une fonction publique en accomplissant des actes réservés à l’autorité publique », « port et complicité de port prohibé et sans droit d’insignes réglementés par l’autorité publique », « recel de détournement d’images issues de la vidéoprotection » et « recel de violation du secret professionnel ». Il est placé sous contrôle judiciaire et il lui est interdit d’exercer une fonction publique ou une mission de service public.

Monsieur Vincent Crase, gendarme réserviste, salarié de La République en Marche présent à ses côtés le 1er mai, est mis en examen pour « violences en réunion », « immixtion dans l’exercice d’une fonction publique » et « port prohibé d’arme ».

Trois policiers, déjà suspendus pour avoir transmis des images de vidéo-surveillance à Alexandre Benalla, ont également été mis en examen, pour « détournement d’images issues d’un système de vidéoprotection » et « violation du secret professionnel ».

Parallèlement à ces développements médiatico-judiciaires, l’affaire dite « Benalla », s’est immiscée dès jeudi matin dans les débats au Parlement où l’Assemblée nationale discute d’un projet de réforme constitutionnelle (Projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative).

Les différents groupes d’opposition de l’Assemblée nationale ont alors souhaité avoir des informations de la part du gouvernement, regrettant que leurs différentes demandes de création de commission d’enquête sur les évènements du 1er mai, aient été rejetées à l’époque des faits. C’est donc bien légitimement qu’ils ont réitérés leur demande de création d’une commission d’enquête.

Arguant du caractère extraordinaire de la session et de la maitrise de l’ordre du jour par le Gouvernement, la majorité parlementaire a tout d’abord refusé cette création avant de s’y rallier 24 heures plus tard, sous la pression de l’opposition, en utilisant une faculté prévue par le règlement. C’est ainsi que la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République de l’Assemblée nationale s’est dotée des pouvoirs d’une Commission d’enquête le samedi 21 juillet 2018.

Au cours du week-end, dans l’hémicycle, se sont succédées les prises de parole de l’opposition pour obtenir l’indispensable publicité des débats. Après avoir défendu le contraire, la majorité a finalement accepté que les débats soient publics.

A ce jour, la liste des personnes devant être auditionnées par la Commission des lois n’a toujours pas fait l’objet d’un accord formel, la liste des personnes auditionnées étant arrêtée au jour le jour, accréditant l’idée que la majorité ne souhaite pas faire toute la transparence sur cette affaire et la relègue à une simple « affaire personnelle ».

Comme d’autres présidents de groupe, le président du groupe LR a, en outre, écrit au Premier ministre pour lui demander de venir faire une déclaration au titre de l’article 50-1 de notre Constitution devant notre Assemblée. Celui-ci lui a fait part de sa réponse négative le mardi 24 juillet.

Au-delà des travaux de la Commission d’enquête et alors que des manquements graves dans le fonctionnement de nos institutions ont été constatés aux niveaux les plus élevés de l’État, il est indispensable que le Gouvernement, qui, en application de l’article 20 de notre Constitution, détermine et conduit la politique de la nation et dispose de l’administration et de la force armée, réponde devant la représentation nationale, de la réalité des faits, de l’étendue des responsabilités et de la chaine des protections dont a bénéficié Monsieur Benalla.

Cette affaire, qui a mis en lumière une confusion des pouvoirs à la tête de l’exécutif, une forme de subordination du Gouvernement face à la Présidence de la République, et une incapacité de ce même Gouvernement à exercer ses responsabilités et pouvoirs institutionnels, justifie le dépôt de la présente motion de censure.

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