J’ai défendu à plusieurs reprises cet après midi dans l’hémicycle la possibilité pour nos communes de gérer l’eau et l’assainissement au plus près des besoins de la population. Rapporteur du projet de loi, j’en ai profité pour inviter madame la ministre Jacqueline Gourault à Aubenas pour le congrès départemental des maires le 26 octobre prochain. Une bonne façon de poursuivre un débat qui va se prolonger dans une mission transpartisane sur l’eau  !

 

Assemblée nationale

XVe législature

Session ordinaire de 2017-2018

Compte rendu
intégral

Deuxième séance du jeudi 12 octobre 2017

 

Présidence de Mme Danielle Brulebois

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

Maintien des compétences « eau » et « assainissement » dans les compétences optionnelles des communautés de communes

Présentation

Mme la présidente. La parole est à M. Fabrice Brun, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

 

 

M. Fabrice Brun, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission des lois, mes chers collègues, si mon groupe a pris la décision de faire inscrire à l’ordre du jour de sa première journée réservée cette proposition de loi, adoptée à la quasi-unanimité par le Sénat, c’est parce qu’elle est à notre sens emblématique d’un bon travail parlementaire.

Elle porte sur un sujet très circonscrit, mais très important pour nos territoires, puisqu’elle permet aux élus locaux de conserver la liberté de déterminer l’échelon le plus pertinent, celui de la commune ou celui de la communauté de communes ou d’agglomération, pour l’exercice des compétences « eau » et « assainissement ».

Il s’agit d’un texte utile et sobre, conforme à l’amélioration de l’efficacité législative impulsée par le président de notre assemblée : un texte à vocation unique, dans le cadre duquel on traite d’un problème, on en débat et on le résout, avant de passer à autre chose.

À autre chose, par exemple – vous avez raison, madame la ministre – à GEMAPI, une compétence dont le transfert est obligatoire au 1er janvier 2018, autre source de complexité et d’inquiétude pour les collectivités locales.

À autre chose, par exemple – vous avez raison, madame la ministre – à GEMAPI, une compétence dont le transfert est obligatoire au 1er janvier 2018, autre source de complexité et d’inquiétude pour les collectivités locales.
Nous vous proposons donc de revenir sur le caractère obligatoire du transfert des compétences « eau » et « assainissement » aux communautés de communes et aux communautés d’agglomération, prévu par la loi NOTRe et qui, selon nous, se heurte à une réalité incontournable : celle du terrain.

Je considère en effet, et nous sommes nombreux sur ces bancs à partager ce point de vue – que nous venions du Cantal, de l’Ardèche, des Vosges, du Calvados ou de la Drôme, et cela vaut pour tous les territoires de France, que le caractère obligatoire de ce transfert repose sur deux erreurs majeures.

La première est une erreur de précipitation. Dois-je rappeler dans quelles conditions l’amendement à l’origine du dispositif a été déposé par le gouvernement de l’époque ?

Il est arrivé soudainement, tard dans la nuit, sans être accompagné d’une étude d’impact, sans avoir été examiné en commission alors qu’il portait sur un sujet très important et qu’il a eu des conséquences considérables sur le terrain, comme nous pouvons le constater aujourd’hui.

Nos collègues, notamment Annie Genevard et Marc Le Fur, qui siégeaient sur ces bancs lors de la précédente législature, peuvent en témoigner.

La seconde erreur est une erreur d’appréciation commise lors du vote de la loi NOTRe. En matière de gestion de l’eau et d’assainissement, le choix de la meilleure gouvernance dépend non pas de la carte administrative, mais d’une carte physique bien réelle, celle de l’implantation du bassin versant et des équipements, des réseaux existants, du relief, de l’altitude – il faut penser aux zones de montagne –, de la nature des sols, de la densité démographique, de la présence ou non d’habitat diffus, des activités humaines et des éventuelles pollutions à traiter. En clair, les bassins hydrographiques n’épousent pas forcément les frontières des EPCI ou les contours administratifs : c’est le terrain qui impose la gouvernance la plus pertinente.

À cet égard, les élus qui avaient intérêt à mutualiser leurs moyens l’ont fait ou sont en train de le faire. Comme notre excellent collègue Jean-Pierre Vigier l’a rappelé en commission, la mutualisation existe déjà, notamment au sein des syndicats. Et elle continue de se renforcer entre les territoires car, comme les élus locaux le savent bien, l’eau et l’assainissement font partie des principales priorités des citoyens en ce qu’elles conditionnent leur qualité de vie.

Aucun élu ne peut négliger ces compétences. Or, en voulant imposer leur transfert, vous remettez en cause cette capacité des élus à s’organiser en fonction des besoins locaux.

Comme l’a dit en commission Mme Pires Beaune, que je remercie à nouveau pour son bon sens, « pourquoi détruire ce qui marche bien ? ». C’est toute une organisation locale, en effet, qui pourrait être remise en question, comme elle l’a très justement rappelé.

« Plus la taille des services d’eau est importante », disait-elle, « plus les appels d’offres le sont également », de sorte que les entreprises locales pourraient se voir évincées des marchés au profit de grands groupes, ce qui se traduirait par une suppression de compétences et d’emplois locaux. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe LR.)

De plus, les dispositions de la loi NOTRe risquent de peser sur le coût de l’eau, et c’est un doux euphémisme.

Vous risquez même, en persévérant dans votre refus d’entendre ce que vous disent les élus locaux, de fragiliser des projets communautaires qui, jusque-là, s’étaient fondés sur l’adhésion des élus concernés et non sur l’application d’une règle uniforme et obligatoire. Il n’existe pas de modèle unique de la gestion de l’eau et de l’assainissement, mais bien une diversité de situations auxquelles les élus répondent avec pragmatisme.

C’est la raison pour laquelle on ne peut pas proposer le même costume à tout le monde.

J’entends l’argument consistant à dire qu’il ne faut pas détricoter la loi NOTRe. Mais cette loi comporte 136 articles et nous proposons de modifier quelques alinéas de deux d’entre eux. Et si nous le faisons, pour répondre à une vraie difficulté de terrain, nous prenons soin, reconnaissez-le, de ne pas remettre en question l’objectif d’ensemble de cette loi, qui était de promouvoir l’échelon communautaire. Du reste, si telle était notre intention, pensez-vous vraiment que notre collègue Olivier Dussopt, rapporteur de la loi NOTRe, soutiendrait notre proposition de loi ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR.)

Mes chers collègues de la majorité, les arguments invoquant la stabilité juridique que vous avez développés en commission ne tiennent pas. Ils ont la force du nombre, mais pas celle de la conviction.

Aujourd’hui, nous vous tendons la main, pour qu’ensemble nous, représentants de la nation, soyons capables d’entendre les questions, les doutes, les difficultés réelles qui nous parviennent des territoires, car on peut penser qu’elles sont bien réelles quand elles persistent deux ans après la publication de la loi, et quand elles sont relayées si fortement par les associations de maires – l’Association des maires de France, l’Association nationale des élus de la montagne, l’Association des maires ruraux de France –, c’est bien qu’il y a un problème qu’une simple circulaire de la Direction générale des collectivités locales ne saurait résoudre.

J’ai entendu, comme vous tous, que le Premier ministre avait annoncé devant l’Assemblée des communautés de France la création d’un groupe de travail piloté par vous, madame la ministre, et portant notamment sur les conditions du transfert de ces compétences « eau » et « assainissement » ; vous venez de nous le confirmer. Alors de deux choses l’une : soit vous restez fidèle à la pensée de Clemenceau – « Si vous voulez enterrer un problème, nommez une commission » –, soit vous reconnaissez que ce transfert ne va pas de soi, et vous permettez aujourd’hui l’adoption de cette proposition de loi utile et de bon sens, puisque le Premier ministre lui-même reconnaît qu’il est urgent d’apporter des réponses aux élus locaux, qui ne comprennent plus le cap de votre gouvernement ; puisqu’enfin cette proposition de loi n’est pas une initiative partisane influencée par telle ou telle élection, mais bien un texte fédérateur, comme l’ont montré les prises de parole en commission des différents groupes politiques, de M. Warsmann, des Constructifs, à M. Bernalicis, pour La France insoumise.

Difficile, vous en conviendrez, de recueillir un assentiment plus large ! (Exclamations sur les bancs du groupe LR.)

Au moins le temps de l’examen de ce texte, je veux tous ici vous remercier d’abandonner le prisme de l’idéologie pour vous confronter au seul principe de réalité. Mes chers collègues, ensemble, votons ce texte utile, concret et sobre, comme les sénateurs l’ont fait avant nous dans un esprit transpartisan, et comme l’ont fait au Sénat, il y a quelques mois seulement, madame la ministre, d’éminents membres du gouvernement actuel.

Enfin, mercredi dernier, en commission, nos collègues Guillaume Larrivé et Raphaël Schellenberger ont tous deux insisté sur un point qui me semble important. Si nous pouvons tous nous accorder sur la nécessité de faire mieux en matière de gestion de l’eau, cela passera non pas par un changement de gouvernance imposé par la loi, mais, bien au contraire, par la confiance accordée aux élus et leur volonté de travailler ensemble dans l’intérêt de leur territoire.

Par ailleurs, il nous faut être réalistes : la poursuite des investissements nécessaires que nous appelons tous de nos vœux pour assurer à long terme la qualité du service rendu à nos concitoyens passe aussi et avant tout par le maintien des moyens financiers des collectivités locales et des moyens des agences de l’eau, alors que ces dernières sont ponctionnées à hauteur de 400 millions d’euros dans le projet de loi de finances pour 2018 ! Il est vrai qu’un peu de cohérence ne nuirait pas.

Au total, nous ne défendons qu’une chose par cette proposition de loi : que le rôle de l’élu local, du maire, responsable devant ses électeurs, engagé au plus près du terrain et auquel des efforts très importants ont été demandés ces dernières années, soit respecté, reconnu et même valorisé par le maintien de sa capacité à décider de l’organisation la plus adaptée à son territoire. Ne ratons pas, ne ratez pas cette occasion de lui adresser un véritable signal de confiance, tant attendu dans nos territoires !

…..

Discussion générale

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Fabrice Brun, rapporteur. La loi NOTRe permet bien entendu des souplesses : je les ai soulignées en toute objectivité dans mon rapport. Mais elles ne sont pas suffisantes. Aucune loi, aussi bien faite soit-elle, ne pourra en effet surmonter les aléas géographiques : vallées, montagnes, éloignement entre deux communes de montagne… Lorsque l’on s’appuie sur mon rapport, il faut donc le prendre dans son intégralité.

Revenons donc aux pages 13 et 14. J’y écris : « En premier lieu, les collectivités chargées de l’assainissement ont des réseaux de collecte des eaux pluviales très hétérogènes. La mutualisation au sein d’un EPCI peut donc soulever d’importantes réserves sur la répartition des charges liées à leur modernisation et, le cas échéant, favoriser l’immobilisme » – or c’est bien cela le pire.

Page 14, j’écris également : « Ces souplesses illustrent bien que la gestion de l’eau est intimement conditionnée par le terrain » – c’est là le mot-clé – « et les spécificités des réseaux existants. Elles montrent également les limites d’une mutualisation imposée et de ses effets pour les territoires. » Bref, si l’on parle du rapport, c’est dans sa globalité.

Sans vouloir répondre à tous les orateurs, je pense que certains députés dans cet hémicycle n’ont toujours pas compris que la mutualisation existe déjà dans les faits. Il me semble que l’on oppose système collectif et communes isolées.

Certes, il existe des communes isolées qui gèrent leur eau en régie. Je veux d’ailleurs rendre hommage à ces conseillers municipaux, à ces adjoints aux maires qui se font fontainiers.

Tout à fait. Et ce faisant ils assurent, depuis des décennies, une gestion et un service de l’eau de bonne qualité et à un coût maîtrisé.

Mais au-delà de cette gestion communale, le plus souvent, il y a déjà des syndicats ! La mutualisation intercommunale existe d’ores et déjà ! Le problème, c’est que la communauté de communes, à laquelle la compétence est automatiquement transférée, n’est pas toujours la bonne échelle. C’est pourquoi la proposition de loi met en avant le principe de liberté.

Enfin, on a rappelé que les investissements des collectivités locales sont en baisse : c’est là une évidence générale. Soit dit en passant, ce n’est pas en diminuant de 400 millions d’euros le budget des agences de l’eau que l’on facilitera les investissements à venir. (Applaudissements sur les bancs des groupes LR et FI.)

La réduction des dotations est le résultat d’une forte pression budgétaire exercée sur les collectivités depuis quelques années, et que les annonces du Premier ministre accroissent encore.

La loi NOTRe ayant profondément modifié l’organisation intercommunale, une incertitude pèse aussi sur les transferts de compétences, car nos collectivités ont besoin de temps pour s’y adapter. L’incertitude relative au transfert, optionnel ou non, des compétences relatives à l’eau et à l’assainissement participe du problème de confiance.

C’est là le deuxième mot-clé : la confiance, qu’il faut redonner aux élus locaux et sur le terrain, car seule la confiance, par les perspectives claires qu’elle ouvre, pourra relancer les investissements.

Beaucoup de choses vraies ont été dites aussi sur les économies d’échelle, mais je vous invite tout de même à prendre connaissance du rapport publié par la Cour des comptes en octobre 2017. Il invite en effet à une grande prudence, soulignant le coût de la transition des réformes territoriales, lequel remet parfois en cause les économies générées par ailleurs.

Pour terminer, je remercie les députés qui, sur tous les bancs, ont soutenu cette proposition de loi. C’est bien la preuve que nous sommes dans une approche transpartisane, une approche de bon sens. Je vous invite donc, madame la ministre, à prolonger ce débat, par exemple en Ardèche, pour le congrès des maires qui se tiendra à Aubenas le 26 octobre prochain.

Nous pourrons ainsi enrichir la réflexion dans le cadre de la conférence des territoires. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)

 

…..

 

Motion de renvoi en commission

 

M. Fabrice Brun, rapporteur. Vous comprendrez que je ne peux rester muet face à cette motion de renvoi en commission.

Chers collègues marcheurs, vous affirmez avoir été élus pour faire de la politique autrement, mais vous prouvez aujourd’hui qu’il n’en est rien.

Mme Constance Le Grip. Exactement !

M. Fabrice Brun, rapporteur. Vous aviez l’occasion d’adopter une loi utile, très attendue sur le terrain, un texte soutenu sur de nombreux bancs dans cet hémicycle, sans esprit partisan. Vous souhaitez renvoyer en commission ce texte précis, à l’urgence avérée, pour mieux l’enterrer. Car si votre objectif était différent, vous auriez amendé le texte en commission.

Mme Danièle Obono. Exactement !

M. Alexis Corbière. Il a raison !

M. Fabrice Brun, rapporteur. Or vous ne l’avez pas fait. Le problème demeure donc entier sur le terrain, notamment dans les zones rurales et périurbaines, auxquelles la réforme pose le plus de problèmes. Et ce n’est pas parce que vous décidez de ne pas le traiter qu’il ne se posera plus.

C’est regrettable, parce que c’est un mauvais signe envoyé à la fois au Parlement, qui doit aussi être une caisse de résonance quand les dispositifs sont défaillants et qui doit pouvoir les corriger, et aux maires, aux élus locaux, auxquels vous ne faites décidément pas confiance. Vous confirmez ainsi, malheureusement, que les territoires sont les grands perdants de ce début de législature.

Nos territoires ruraux ont bien évidemment des atouts et peuvent apporter beaucoup à ce pays dans de nombreux domaines d’excellence : l’agriculture, dont Arnaud Viala a parlé ce matin, l’agroalimentaire, le tourisme, les services, tous les savoir-faire de précision. Mais ils ont besoin aussi de la solidarité territoriale et nationale pour avancer. C’est par exemple le cas sur la question du numérique, que nous aurons l’occasion d’évoquer à nouveau dans cet hémicycle.

Cette proposition de loi porte sur la compétence « eau », mais je pourrais évoquer quelques mesures, telles que les 13 milliards d’euros d’économies annoncées pour les collectivités, la réduction brutale et drastique du nombre de contrats aidés.

 

Le lien avec le sujet, c’est votre rapport à la ruralité ! Le coup de rabot sur les budgets des agences de l’eau, voilà une mesure qui est dans le sujet ! Et que dire des mesures d’augmentation du prix des carburants, qui pénalisent toujours les mêmes ?

Aujourd’hui, vous rejetez notre proposition de loi, pourtant utile et concrète, et vous creusez les inégalités territoriales. Cela commence à faire beaucoup. Ce faisant, vous ne faites que renforcer notre volonté de défendre ces territoires ruraux en grande difficulté. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR.)

 

 

 

Share This