Coup de tonnerre hier (mardi 11 mai) à l’Assemblée nationale, les députés rejettent l’article 1er du projet de loi de sortie de l’état d’urgence. J’ai voté et fais partie de ceux ayant mis en minorité le Gouvernement. Cependant, pour faire adopter le texte, dans une deuxième délibération à l’initiative du gouvernement, l’exécutif a accepté d’écourter la période de transition pendant laquelle le gouvernement peut décider d’ajuster seul les restrictions de libertés. Récit d’une soirée de débats animés à l’Assemblée nationale…

© Le Dauphiné Libéré du 12 mai 2021.

 

 


Extrait du Bulletin Quotidien du 12 mai 2021.

Dès lundi soir, quelques heures à peine après le début de l’examen du projet de loi de gestion de la sortie de l’état d’urgence sanitaire, le député (MoDem) de Vendée Philippe LATOMBE avait fait part de son « amertume », partagée sur tous les autres bancs et même parfois parmi les « marcheurs », face à un gouvernement qui « méprise le Parlement ». Les griefs portaient tant sur l’absence de réponse aux questions soulevées par le pass sanitaire prévu par voie d’amendement gouvernemental pour accéder aux grands évènements, que sur le refus de clarifier dans le marbre de la loi ses critères d’application, ou d’avancer la fin du régime transitoire de sortie de l’état d’urgence d’un mois, du 31 octobre au 30 septembre. Le rejet – de justesse (62 voix pour, 63 voix contre) – de l’amendement du député (MoDem) du Calvados Christophe BLANCHET faisant du « pass sanitaire » un sésame pour la réouverture au 1er juillet des discothèques, n’a pas non plus été apprécié dans les rangs du parti centriste.

« On a assisté hier à un déni de démocratie », a regretté le député (MoDem) des Yvelines Bruno MILLIENNE, brandissant la menace d’un vote unanime du groupe contre l’ensemble du projet de loi. « Sur la forme, c’est exécrable », a-t-il souligné, évoquant « un rapporteur absent qui lisait ses fiches et deux ministres au banc qui ont passé beaucoup de temps sur leurs portables ». En outre, le débat dans l’hémicycle a coïncidé avec la publication de l’entretien accordé au « Parisien » par le Premier ministre Jean CASTEX qui y évoquait l’utilisation du « pass sanitaire » avec des jauges de 800 personnes pour les cinémas, quand les membres au gouvernement ont répété aux députés le seuil de 1000 personnes. Devant la commission des Lois du Sénat, le ministre des Solidarités et de la Santé Olivier VERAN a admis que fixer dans la loi un tel seuil empêcherait de le modifier si les retours d’expérience ou la situation épidémique le justifiaient. « Je n’ai pas été élu pour me soumettre à un diktat gouvernemental », s’est agacé M. MILLIENNE. En écho, les députés (UDI) du Loir-et-Cher Pascal BRINDEAU et (LR) de la Manche Philippe GOSSELIN ont profité de rappels au règlement pour déplorer un problème d’organisation de la discussion parlementaire qui témoigne d’une « sous-estimation du nombre d’amendements, de la vigueur des débats » – rappelons que le texte doit être promulgué d’ici le 1er juin.

En fin d’après-midi, à la surprise générale, les députés ont rejeté l’article 1er par 108 voix (REM, AE) contre 103 (MoDem, LR, PS, LT, UDI-I, LFI, GDR, NI) et deux abstentions (les députés REM Caroline JANVIER et Pacôme RUPIN). « Il n’y a pas eu de dialogue et d’écoute » sur « les lignes rouges » du texte, au sein de la majorité, a justifié M. LATOMBE, soulignant l’unanimité de son groupe contre l’article. « Voilà ce qui arrive quand on traite par le mépris la représentation nationale », a renchéri M. GOSSELIN.

Rappelons que l’article 1er définit le régime transitoire de sortie de l’état d’urgence qui doit s’appliquer jusqu’à l’automne, prolonge le couvre-feu pour le mois de juin, instaure le pass sanitaire pour les déplacements comme pour les grands rassemblements. A l’initiative du rapporteur, les députés y ont inscrit le décalage à 23h du couvre-feu à compter du 9 juin – sauf dans les territoires où est constatée une circulation active du virus où la plage horaire comprise entre 21h et 6h restera applicable. Réciproquement, un amendement du groupe REM permet aux préfets, à titre dérogatoire et dans les parties du territoire dans lesquelles est constatée une faible circulation du virus, de lever de manière anticipée, avant le 30 juin, la mesure de couvre-feu.

Ce coup de théâtre a donné lieu à d’intenses tractations en vue de la reprise des débats dans la soirée et d’une nouvelle délibération tardive sur l’article 1er. « On va trouver un accord avec la majorité » et « nous allons régler ce problème », a assuré le Premier ministre sur France 2. « S’il faut trouver des terrains d’équilibre pour arriver à ce que ce texte passe et que nous retrouvions des libertés dans notre pays, nous ferons ces concessions », a confirmé M. VERAN. Pour obtenir un vote favorable, le gouvernement devait accepter les trois conditions posées par le principal allié de La REM : sortie du régime transitoire au 30 septembre (comme le préconisaient M. GOSSELIN et le député (REM) de la Vienne Sacha HOULIE), ouverture des discothèques avec pass sanitaire à compter du 1er juillet, suppression du délai dérogatoire de deux mois au terme duquel le Parlement doit se prononcer sur la prorogation de l’état d’urgence sanitaire (s’il devait être déclaré localement cet été).

Cette dernière mesure relève de l’article 2, lequel a été rétabli conformément au souhait du gouvernement et entouré de plusieurs garanties. Tout d’abord, elle ne sera applicable qu’entre le 10 juillet et le 31 août (quand le gouvernement voulait la faire démarrer dès le 2 juin). Ensuite, après un mois de mise en œuvre de ce dispositif, le gouvernement informera le Parlement en lui remettant un rapport. En cas de dépassement du seuil de 10 % du fait d’une nouvelle déclaration localisée, le délai d’un mois avant la prorogation par le Parlement sera rétabli – il partira de la déclaration initiale.

La soirée a ensuite vu l’adoption conforme des articles 3, 4 et 5, ce dernier provoquant des débats animés. Il prévoit la conservation pseudonymisée durant vingt ans des données de santé collectées depuis le début de l’épidémie, alors que leur collecte était à chaque fois prévue pour quelques mois au-delà de l’état d’urgence sanitaire. Sans remettre en cause l’objectif scientifique de cette disposition, les députés se sont interrogés sur la validité du consentement, recueilli dans des conditions fort différentes. L’avis de la CNIL est attendu aujourd’hui. Les députés devaient ensuite examiner les articles relatifs à la prolongation des ordonnances prises du fait de l’état d’urgence sanitaire et ceux portant adaptation des prochaines élections, dont les scrutins consulaires.

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